« Quand on évoque l'e-learning, il y a tout de suite une levée de boucliers des doyens de facultés, qui déclarent ne pas vouloir proposer de formation à distance », remarquait Mireille Bétrancourt lors des Journées numériques 2010 organisées par l'université Paris Descartes. Une manière pour la directrice de Tecfa (Technologies pour la formation et l'apprentissage), vice-doyenne de la faculté de Psychologie et des Sciences de l'éducation de l'université de Genève, et docteur en Sciences cognitives, d'indiquer combien la notion d'e-learning reste aujourd'hui largement associée à la formation à distance, et l'utilité pédagogique des nouvelles technologies dans le cadre d'un enseignement en présentiel peu explorée.
En conclusion d'une présentation sur les outils de visualisation et de représentation et leur potentiel pédagogique à l'université, Mireille Bétrancourt a d'abord insisté sur le fait que les Tice sont un outil à disposition de l'enseignant, mais pas à l'exclusion des autres. Ensuite, les intégrer facilement à l'enseignement nécessite qu'elles soient pertinentes par rapport aux objectifs de formation, mais aussi que soit mise en œuvre une stratégie de formation en adéquation avec elles.
Parmi les illustrations de cette problématique, le cas des dispositifs de visualisation interactifs, où l'apprenant agit par exemple sur la forme d'un cylindre pour comprendre la notion de conservation du volume. Si ce type d'outil peut constituer une aide au raisonnement, susciter l'action n'est pas suffisant, celle-ci doit être suivie d'une réflexion. Or, « la confrontation de la perception et de la compréhension d'une animation entre deux étudiants leur permet d'en tirer plus d'enseignements que s'ils se contentaient de la regarder », expliquait Mireille Bétrancourt.
Autre exemple, celui des TBI, les tableaux blanc interactifs, qui connaissent aujourd'hui un grand engouement, mais dont « la crainte est qu'ils ne fassent que renforcer les habitudes très transmissives et frontales de l'enseignement, faute de matériaux qui permettent des stratégies pédagogiques plus interactives avec les étudiants ».
Les dispositifs mêlant objets réels et virtuels illustrent également le potentiel des technologies comme support d'apprentissage collaboratif. Mireille Bétrancourt en donnait un exemple à travers une formation pour apprentis en logistique, où ceux-ci doivent installer des palettes dans un entrepôt. Une caméra reliée à un ordinateur indiquant notamment si l'espacement entre les rayons permet le passage d'un transpalettes (voir vidéo ci-dessous).
Thème à la mode, celui des serious games. Pour Mireille Bétrancourt, « les jeux vidéos sont un excellent modèle de technologie ne nécessitant pas de formation, et présentant un aspect captivant ». Mais le problème est le temps qu'ils nécessitent. « Les jeunes apprennent beaucoup dans les jeux vidéos, mais si l'on appliquait leur modèle à l'acquisition de connaissances formelles, il faudrait que l'enfant joue plus de 40 heures par semaine pour compléter sa formation dans les différentes disciplines scolaires », faisait-elle remarquer.
En revanche, le serious game peut constituer une solution efficace lorsqu'il est intégré dans l'espace de la classe. C'est par exemple le cas du jeu Palestine, de Global Conflicts, où les étudiants jouent le rôle d'un journaliste : ils doivent enquêter sur un point particulier, écrire un article, puis le jeu s'arrête et il s'ensuit une discussion au sein de la classe.
Abordant le cas des outils permettant une production collaborative, comme les wikis, Mireille Bétrancourt constatait qu'ils présentent un gros potentiel dans le cadre de la formation, avec la possibilité de faire évoluer un document au fil d'une réflexion, ou bien celle de suivre l'avancement d'un travail grâce à la gestion de versions, mais qu'ils sont encore assez peu exploités.
Enfin, la directrice de Tecfa notait que si les « digital natives » sont familiers des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, ils n'ont pas forcément envie d'outils favorisant un approfondissement conceptuel ou l'écriture collaborative. « Je suis toujours très surprise du désintérêt des étudiants par rapport à ces outils, remarquait-elle. Une des questions qui reste posée est de savoir si l'on va à leur rencontre en proposant des réseaux sociaux pour bâtir des connaissances disciplinaires, ou si on les amène à s'intéresser à d'autres usages du numérique, plus conceptuels. »