Les outils collaboratifs victimes des modes de travail

Fini l'intranet, place au réseau social d'entreprise ! En 2010, ce mot d'ordre commençait à fleurir. Cette année-là, chez Largadère Publicité, il était même devenu réalité. L'enjeu ? Favoriser une nouvelle culture d'entreprise, fondée sur le partage et l'échange, la transversalité.

Pour faciliter cette transformation, la filiale de Lagardère avait opté pour un réseau social d'entreprise « pur jus ». Sur le plan fonctionnel, il se réduisait presque à un flux conversationnel, dans lequel remontaient les discussions des différentes communautés auxquelles l'utilisateur était abonné. Détail qui a son importance : en phase avec la volonté de transversalité, créer des communautés privées était impossible.

L'histoire des réseaux sociaux d'entreprise ne s'est cependant pas poursuivie dans le même esprit de simplicité. Sommés ou tentés de devenir la plate-forme unique de l'organisation, ils se sont souvent enrichis de multiples fonctionnalités : gestion documentaire, boîte à idées, système de workflow métier, gestion de tâches… Ils ont cherché à se connecter avec les autres briques du système d'information.

Surtout, ils ont dû répondre aux exigences des entreprises en matière de gouvernance, en intégrant des fonctions de gestion de droits, de modération, etc. En 2011, par exemple, une grande banque française souhaitant installer Yammer avait suspendu sa décision à la possibilité de modérer la création de communautés. A l'époque, l'équipe du réseau social, tout juste racheté par Microsoft, avait trouvé le courage de s'opposer à cette volonté. Un purisme qui ne s'est pas perpétué.

Menaces sur la messagerie d'équipe

Dix ans plus tard, l'intranet et sa logique de portail sont plus que jamais là, même si l'on parle désormais de Digital Workplace, un environnement personnalisé qui centralise les informations provenant de multiples sources, donne accès aux applications de l'utilisateur, facilite la collaboration.

Toujours là, mais pas seul, puisque la messagerie d'équipe, avec sa logique conversationnelle inspirée des premiers réseaux sociaux d'entreprise et ses capacités de connexion jusque-là inégalée, est bien taillée pour endosser le rôle de nouveau challenger.

« Les outils de messagerie instantanée organisés en équipes et connectés aux systèmes métier de l'entreprise vont gagner la guerre de la collaboration, défendait ainsi un professionnel que j'interrogeais récemment. Bien utilisés, ils sont d'une efficacité redoutable », soulignait-il.

Cette vision exclusive n'est cependant pas inéluctable. D'autres, au contraire, défendent l'idée d'une coexistence, au sein d'une organisation, entre la Digital Workplace version portail et celle version messagerie d'équipe.

Et au vu de l'histoire du duel intranet/réseau social d'entreprise évoquée plus haut, l'on serait tenté de penser que cette option est d'ailleurs préférable pour les messageries d'équipe elles-mêmes, sauf à vouloir courir le risque de se dénaturer et perdre leur « efficacité redoutable » d'outil agile en essayant de devenir aussi grosse que le bœuf.

Reste que leur succès semble de toute façon à double tranchant, comme en témoigne l'irruption des canaux privés dans Teams l'année dernière. Une fonction qui arrivait en tête des demandes d'évolution formulées par les utilisateurs, mais qui fait bondir certains professionnels de la collaboration.

« Microsoft veut satisfaire tous les utilisateurs, mais tous ne travaillent pas dans une logique de cercles de confiance en mode agile, me faisait remarquer l'un d'eux. Avec les canaux privés, l'on recrée des espaces cloisonnés. Mais l'on ne peut mélanger de l'huile et du vinaigre, créer un espace qui facilite l'agilité et satisfasse en même temps ceux travaillant en mode cycle en V », insistait-il.

Les messageries d'équipe compteraient-elles déjà, parmi elles, leur première victime du mode de fonctionnement de l'entreprise ?

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