« Ce n'est pas grave. C'est très grave », tempêtait Pierre Minotier le 14 février dernier, dans une interview à Ouest-France. Le président national du centre des jeunes dirigeants (CJD) réagissait au rejet, par le Sénat, de l'article 61 de la loi Pacte (Plan sur la croissance et la transformation des entreprises).
L'article en question concerne la RSE et la raison d'être des entreprises. Il propose de modifier des articles du code civil liés à la définition d'une société. Dans le droit français, l'entreprise n'est, en effet, pas reconnue, c'est la société constituée par des actionnaires qui l'est.
Une première modification visait à obliger toute société à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans la gestion de son activité, et non pas son seul intérêt social (autrement celui des actionnaires).
La seconde modification, elle, donnait la possibilité à l'entreprise d'inscrire sa raison d'être dans ses statuts. Une brèche dans la vision traditionnelle de l'entreprise, où l'unique finalité est la recherche de bénéfices et non son utilité sociétale, la valeur qu'elle crée pour l'ensemble de ses parties prenantes.
La majorité sénatoriale a estimé que la première modification faisait courir des risques juridiques aux entreprises et qu'elle pouvait remettre en cause leur compétitivé.
Quant à l'inscription de la raison d'être dans les statuts, elle entraînait, de l'avis du conseil d’État, une obligation de s'y conformer et, donc, une obligation de moyens pour en apporter la preuve. Impossible pour une TPE et une PME, a défendu la majorité sénatoriale.
Depuis la publication, début 2018, du rapport Senard-Notat, qui a inspiré la rédaction de l'article 61, le patronat se déchire sur ces questions de la RSE et de la raison d'être. Le Medef et l'Afep, notamment, sont vent debout contre tout changement qui serait contraignant.
Une opposition qui avait sans doute déjà pesé lors de la rédaction de l'article 61, dont le contenu est largement édulcoré par rapport aux propositions du rapport Senard-Notat (voir notre article : La mission de l'entreprise, nouvel axe pour engager les collaborateurs). Par exemple, le rapport préconisait de rendre obligatoire la définition et la poursuite d'une raison d'être qui ne se réduise pas au seul profit.
De toute évidence, les opposants viennent donc de remporter une deuxième manche.
Après l'échec, le 20 février dernier, d'une tentative d'aboutir à un compromis lors d'une commission mixte paritaire, réunissant des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat, le projet de loi sera à nouveau discuté à l'Assemblée le 13 mars prochain.
Les partisans de l'article 61, eux, ne désarment pas. « La création d’un statut Entreprise à mission est un espace de liberté supplémentaire pour les entreprises qui s’engagent. Pourquoi les priver de cette possibilité ? C’est une démarche volontaire, vertueuse qui s’inscrit, pour nos entreprises, dans une vision solidaire et porteuse de sens. C’est aussi une attente des salariés et des citoyens », défendent, par exemple, les Dirigeants Responsables de l’Ouest.
« Ce qui motive un entrepreneur, c’est le sens et la mission. Faire croire que son seul horizon est le profit est une insulte à lui-même, à ses collaborateurs, à ses clients et à ses actionnaires », proclame, quant à lui, le CJD, dans un communiqué titré : Non, Monsieur le sénateur, les dirigeants d'entreprise qui réfléchissent à leur raison d'être ne son pas dépressifs !
Ardante défenseuse de l'entreprise à mission, concept qui va pourtant au-delà de la seule raison d'être, Geneviève Ferone-Creuzet appelle, elle, à ne pas rater « une opportunité historique de redonner confiance dans les entreprises, particulièrement les plus grandes, abîmées par la financiarisation de l'économie. »
In fine, les députés auront le dernier mot. Mais celui-ci est loin d'être déjà écrit.