Arnaud Rayrole, directeur général du cabinet Lecko |
La prochaine loi numérique pourrait faciliter la transformation des entreprises. Elle est présentée comme un rempart face aux abus des géants du web pour protéger nos libertés individuelles, mais elle est aussi l’opportunité de favoriser l’innovation.
Elle permettrait de simplifier la construction du système d’information (SI) social et d’adopter une gouvernance souple, respectueuse de la complexité des organisations, favorisant les changements culturels vers plus de coopération. Et ce, au service de la transformation numérique.
Les données seront au cœur des enjeux des systèmes d'information des entreprises de demain. Elles doivent circuler, être partagées, être exploitées et réexploitées.
Le marché du logiciel pousse les clients vers le Cloud, offrant de nombreux avantages mais emprisonnant au passage les données sur des environnements propriétaires et fermés.
Et il s'agit bien là d'une stratégie commerciale visant à rendre captif, pas d'une limitation technologique. Comprenez que la valeur d'un éditeur est le produit de la valeur instantanée générée par un client par la durée moyenne de contractualisation.
Les éditeurs ont bâti un modèle nécessitant un investissement initial quasi nul pour leurs clients, un coût d’exploitation compétitif, mais un coût de sortie indéfini favorisant la rétention.
L’accès aux données pour une exploitation dans d’autres applications du système d’information reste théorique tellement les API (interfaces informatiques) sont limitées et leur utilisation contrôlée par l’éditeur.
En l'état, quelles sont les conséquences pour les entreprises sur les plates-formes collaboratives et sociales, qui sont les piliers de la transformation interne des organisations ?
• D’abord, la couche de collaboration censée mettre du liant entre les applications métiers n’offre dans la pratique que des possibilités limitées d’intégration de flux d’information… Prenons un exemple concret : le recouvrement d’une facture client. Depuis l’application de gestion, on aimerait trouver des informations sur la personne à contacter en s’appuyant sur le réseau social interne afin d’identifier et discuter avec ceux qui interviennent chez le client.
• Ensuite, dans un contexte où l’agilité et le leadership sont reconnus par tous comme les facteurs clefs de réussite des entreprises de demain, les solutions fermées instaurent - par l’influence exercée par leur éditeur et les contraintes techniques - une approche hégémonique prônant l’usage d’une application unique empêchant une logique de SI composite, étouffant les initiatives des métiers recherchant des solutions collaboratives tierces plus appropriées à leur contexte. Ce qui oblige l’entreprise à avancer dans son adoption de ces nouveaux usages d’un front uni et à avoir une gouvernance globale d’emblée. Autant dire que c’est mal connaître la réalité des entreprises d’une certaine taille…
• Pour terminer, les solutions métiers deviennent également « sociales » et visent à étendre la collaboration autour du processus au-delà des acteurs métiers. Faute d'interopérabilité possible, les utilisateurs gèrent de multiples profils et les informations ne circulent pas d'un outil à un autre.
Ce que la loi numérique peut changer pour les entreprises et les acteurs de l’écosystème :
• Assurer la portabilité : les coûts de sortie doivent être connus lors de l’achat. Les entreprises pourront se concentrer sur le développement des usages sans pression sur le choix technologique. Elles seront plus ouvertes à travailler avec des solutions novatrices.
• Garantir l’accès aux données en continu via des interfaces informatiques : les données appartiennent à l'entreprise et elle doit en avoir la jouissance quand elle le souhaite et avec n'importe quelle application tierce.
De part mon activité, je constate l'impuissance des grandes entreprises à négocier face aux géants du secteur. Je ne parle même pas des autres entreprises, plus petites.
Faute de règles imposant un équilibre, une poignée d’acteurs dominants régiront le SI de l’entreprise, comme Facebook ou Google le font sur le web aujourd’hui.
Le projet de loi est actuellement ouvert à discussion, c’est l’occasion de débattre, alors prenez la parole !
A consulter : Plate-forme participative du projet de loi et proposition d’obligation d’information sur les possibilités d’accès en continu aux données via des interfaces informatiques.