Communautés privées, la plaie des réseaux sociaux d'entreprise ?

Le grand partage, c'était l'idée directrice des premiers déploiements de réseaux sociaux d'entreprise (RSE). Dans un élan d'enthousiasme fasciné par le web 2.0 grand public, s'ouvraient des communautés où tout collaborateur pouvait venir partager autour d'une thématique ou de pratiques métier. Il fallait casser tous les silos, organisationnels comme hiérarchiques. Plonger dans le grand bain de l'intelligence collective. 

Certes, des communautés privées, voire secrètes, existaient déjà, lorsque la confidentialité l'imposait. Parfois, le caractère fermé des communautés pouvait même avoir une fonction de facilitation, d'appropriation. On l'a vu, par exemple, dans deux entreprises pionnières dans le déploiement d'un RSE.

La première avait ainsi imaginé un parcours quasi-initiatique : lorsqu'il devenait membre du RSE, le collaborateur accédait à une grande communauté métier ouverte et généraliste. Et, une fois qu'il avait fait ses premières armes en son sein, il gagnait le droit d'accéder à des communautés plus pointues.

Dans la seconde entreprise, partant du constat qu'il était plus aisé pour le plus grand nombre de contribuer dans une communauté de 20 à 30 personnes, après un appel à volontariat dans la grande communauté publique, des groupes de travail privés étaient constitués. C'est seulement quand leur mission était bien avancée ou finalisée qu'ils s'ouvraient à tous, afin que chacun puisse apporter son point de vue.

« Ce n'est pas encore assez rentré dans le quotidien, me précisait l'un des responsables de la démarche. Certaines personnes sont donc encore réticentes. D'autant qu'il faut oser s'exprimer, mais aussi savoir gérer ensuite que d'autres ne soient pas d'accord avec vous. Enfin, il faut le temps que la démarche soit comprise par tous. » Ce « tous » comprenant notamment une partie du management.

L'essor des communautés restreintes

Puis les usages des RSE ont mûri. A mesure qu'ils se sont davantage centrés sur des objectifs métier et opérationnels, les communautés restreintes se sont multipliées, ne rassemblant que les membres directement concernés par la réalisation de ces objectifs.

« L'on recrée des silos ! », se sont alors alarmés les orthodoxes de l'intelligence collective en mode 2.0. A juste titre ? Pas forcément. « Chez nous, où la culture d'ingénieur prédomine, c'est vrai que les communautés sont souvent fermées, restreintes à un seul métier, me confiait récemment le responsable collaboratif d'un grand groupe. Mais, dans un contexte d'organisation matricielle, elles ont malgré tout l'immense intérêt de créer de la transversalité au sein de chaque métier. »

Difficile, donc, de jeter a priori la pierre aux communautés privées. Reste qu'il ne faudrait pas non plus sous-estimer une autre tendance, bien réelle, à vouloir rester sur son petit quant-à-soi.

En fonction de la gouvernance instaurée, cette tendance peut d'ailleurs conduire à des situations intéressantes. Dans une autre organisation, où il est possible de créer des communautés transverses et d'autres par entité, l'on avait imaginé que ces dernières pourraient être ouvertes à des individus n'en faisant pas partie, afin qu'ils puissent contribuer à leurs travaux.

« Cela a fonctionné quelques semaines et puis tout s'est arrêté, racontait le responsable du projet. Les managers de ces entités étaient en effet inquiets que l'on voit tout ce qui se passe chez eux. »

Du coup, à côté de ces communautés d'entité, sont apparues des communautés transverses un peu spéciales. Par exemple, à côté de celle de l'entité Pékin, l'on trouve maintenant la communauté Chine, qui rassemble des individus venant de toute part, mais aussi tous les collaborateurs de l'entité Pékin. « Nous espérons que c'est dans Chine que finiront par se passer vraiment les choses, tandis que Pékin ne servira plus qu'à traiter les problématiques réellement internes à l'entité », avouait le responsable.

Les méfaits de la non gouvernance

Parfois, les choses prennent cependant une tournure catastrophique, spécialement en l'absence de toute gouvernance des communautés. C'est le cas dans une grande entreprise où, sur les 2000 communautés du réseau social, près de 70 % sont privées.

« Dans certains cas, des collaborateurs s'estiment les meilleurs experts d'un domaine, eux et quelques trois ou quatre autres personnes qu'ils connaissent. Ils préfèrent donc fermer leur communauté, de peur que n'importe qui vienne la “polluer”, me confiait un membre de cette entreprise. Résultat, lorsqu'on effectue une recherche, impossible de trouver l'information qu'ils détiennent. C'est une grosse perte en ligne. »

Chez Lafarge, c'est une toute autre philosophie qui prévaut pour LO Knowledge, la plate-forme de Social KM à laquelle nous consacrons cette semaine un article retour d'expérience. Plus de 90 % des communautés y sont ainsi ouvertes.

« Tout le monde, dans l'entreprise, doit pouvoir partager avec tous et bénéficier des connaissances et idées des autres pour évoluer, défend le responsable KM et Collaboration. Tant que l'information n'est pas réellement confidentielle, les espaces privés n'ont donc pas lieu d'être. » Un principe de gouvernance qui écarte tout risque de voir le « naturel » revenir au galop.

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