Une transformation numérique métamorphosée, c'est l'héritage laissé par la pandémie de covid. Trois ans après sa survenue, dans les petites, les moyennes comme les grandes organisations, que l'on soit en bureau ou sur le terrain, on est connecté.
L'environnement de travail collaboratif est, lui, devenu central. C'est sur lui que repose désormais la continuité d'activité de l'organisation, comme au premier chef son fonctionnement quotidien, avec le développement du télétravail et du mode hybride, autres héritages de la crise sanitaire.
Difficile, pourtant, de vraiment se satisfaire de ce bond en avant, comme le montre la nouvelle édition de l’État de l'art de la transformation interne des organisations, l'étude du cabinet Lecko.
Faute de transformer les pratiques de travail, plus la Digital Workplace s'enrichit pour faciliter la communication et la collaboration, plus elle complique in fine le quotidien des salariés, toujours plus saturés d'interactions, de notifications, de réunions, d'informations à traiter.
Un phénomène déjà identifié dans les dernières éditions, qui s'est logiquement amplifié, avec des impacts en termes de déconnexion. On interagit sur une journée de travail étendue, 8 h-20 h, et messages et notifications viennent empiéter sur la vie privée en parvenant le soir comme le week-end.
Une situation qui produit aussi des hyperconnectés : une frange de salariés qui interagissent davantage que les autres au cours de la journée de travail étendue ainsi qu'au-delà.
En orange, les hyperconnectés, en violet les autres collaborateurs susceptibles d'interagir en dehors de la plage usuelle de travail (75% de l'échantillon). Source : Lecko |
Lecko, qui a analysé les données d'usage de 20 000 utilisateurs de Microsoft 365 d’entreprises de tailles et de secteurs d’activités différents sur les deux dernières années, montre que ces hyperconnectés représentent une part de 10 % (voir notre article), quand ceux susceptibles d'interagir « seulement » en dehors de la plage usuelle des 8h-12h/14h-18h représentent 75 % de l'échantillon.
Cette inflation des usages numériques a une autre conséquence, celle d'aggraver les émissions carbone. L'analyse de Lecko révèle ainsi que, en deux ans, 85 % des utilisateurs ont augmenté leurs émissions, 48 % de plus de 50 %, 31 % du double.
« Aujourd'hui, l'enjeu n'est plus de susciter davantage de collaboration, mais que celle-ci soit plus efficace, remarque Arnaud Rayrole, le dirigeant de Lecko. Des choses ont cependant changé positivement, pointe-t-il. Jusque-là, la transformation numérique était un sujet global, portant simplement l'injonction de se transformer, et personne n'était en charge de la problématique du changement des pratiques. Aujourd'hui, elle impose au contraire de grands enjeux qui disposent chacun d'un sponsor identifié et sont autant de leviers pour changer les pratiques numériques », souligne-t-il.
Pour le cabinet, ces grands enjeux sont au nombre de trois. Le premier est celui de l'hyperconnexion, qui impose aux ressources humaines de prendre en compte les risques psychosociaux qui lui sont liés, en étant capable de les évaluer, mais aussi d'impulser et accompagner l'évolution de pratiques mangériales adaptées au monde hyperconnecté.
« Il n'y aura pas de retour en arrière sur le travail à distance, complète Arnaud Rayrole. Il faut arriver à trouver des mesures pour contenir les excès de liberté qu'il apporte. »
Le deuxième grand enjeu est environnemental, bien sûr porté par les directions de l'environnement, dont le rôle s'est accrû avec les engagements pris par les organisations, particulièrement les grands groupes, en termes de décarbonation de leurs activités, pour réduire leurs émissions de CO2 de 50 % d'ici à 2030.
« Aujourd'hui, nos pratiques numériques ne sont pas alignées avec cet objectif, remarque Arnaud Rayrole. Les directions de l'environnement en sont conscientes et communiquent beaucoup sur le sujet. Mais cela va tellement loin dans la communication, que cela s'apparente à du greenwashing et devient contre-productif. Elles doivent donc trouver d'autres leviers pour embarquer les collaborateurs dans des pratiques numériques plus sobres, la maîtrise des émissions carbone à leur échelle », explique-t-il.
Pour les aider à mettre en place des dispositifs répondant à cet enjeu, l'étude met d'ailleurs en lumière les nouvelles solutions apparues soit pour sensibiliser les collaborateurs, soit pour les engager dans des actions à impact positifs.
Le troisième enjeu est, lui, technologique et concerne la DSI, désormais confrontée à la nécessité d'assurer la sécurité et la souveraineté des données d'une Digital Workplace devenue centrale pour l'activité, donc stratégique.
Sur ce terrain, les choses bougent beaucoup, principalement autour de la problématique de l'échange de données entre les Etats-Unis et l'Europe et des lois extra-territoriales américaines.
En France, par exemple, l’État interdit progressivement l'usage de Microsoft 365 dans les administrations. En fin d'année dernière, le ministère de l’Education nationale a notamment demandé aux établissements d’arrêter tout déploiement ou extension de cette dernière solution.
Mais les choses ont aussi bougé sur le marché de la Digital Workplace, avec des acteurs souverains dont les solutions sont désormais en mesure de rivaliser avec les grandes solutions américaines, Microsoft 365 et Google Workspace.
Ces acteurs, auxquels une partie de l'étude se consacre, sont au nombre de 6 : Talkspirit, Jamespot, eXo Platform, Jalios, Whaller et Wimi. Tous intègrent désormais, via des solutions open source comme Jitsi ou OnlyOffice, la visioconférence et des outils bureautiques, deux briques essentielles qui leur faisaient défaut face à leurs concurrents américains.
Les derniers trous dans la raquette sont la messagerie, que seules deux solutions proposent de manière native, et le Drive, lui aussi disponible que chez deux acteurs. Mais les choses devraient aussi évoluer sur ces sujets.
En revanche, l'étude pointe également la bonne expérience utilisateur apportée par toutes ces solutions, qui mettent en avant des offres modulaires. « Celles-ci étant pensées comme telles, l’expérience utilisateur gagne en cohérence avec des connexions souvent intelligentes et une UX uniforme », notent ainsi les auteurs de l'étude.
« La souveraineté n'est pas le seul terrain sur lequel les acteurs français ont une carte à jouer, ajoute Arnaud Rayrole. Ils peuvent innover pour répondre aux enjeux actuels de la Digital Workplace en termes de saturation et d'émiettement de l'information comme de numérique responsable. Plein de choses sont à imaginer, à leur portée », défend-il.
Face à des technologies américaines répondant mal aux enjeux environnementaux, l'étude propose notamment plusieurs pistes d'optimisation, comme le versionning de documents par sauvegardes incrémentales (sans duplication de fichiers), l'archivage bas carbone, la centralisation automatique des pièces jointes des e-mails, des fonctions facilitant l'identification des documents inutilisés…
Dans l'immédiat, un dernier argument pourrait toutefois jouer en la faveur des éditeurs souverains de Digital Workplace, la politique tarifaire de Microsoft.
Celle-ci dessine une plate-forme à deux vitesses, avec d'un côté une version standard et, de l'autre, une version dotée de modules améliorant l'expérience utilisateur mais payants, comme avec la suite Viva.
Une orientation qui vient de se renforcer avec l'annonce d'une version premium de Teams, qui sera seule à bénéficier, entre autres, des dernières innovations de Microsoft en matière d'intelligence artificielle, comme la traduction et la retranscription des discussions.
La goutte d'eau qui va faire déborder le vase ? En tout cas, lors d'une récente conférence, le représentant d'une grande entreprise n'avait pas hésité à prendre la parole sur le sujet.
« Beaucoup d'entreprises françaises refusent que la fonctionnalité de traduction automatique passe payante. Je vous invite donc tous à contacter votre Customer Success Manager Microsoft pour lui dire que vous êtes contre », lançait-il à ses homologues.